Qu’est-ce qu’un glacier? Comprendre l’histoire glaciaire de l’Arctique de l’Ouest

Pour pouvoir interpréter ce que nous observons aujourd’hui sur terre et dans le fond marin, nous devons d’abord comprendre en quoi le paysage était différent dans le passé. Le « passé » à l’échelle géologique, bien entendu!

Une des périodes clés à laquelle nous nous intéressons remonte à environ 10 000 à 20 000 ans, lorsque le climat était beaucoup plus froid et que les glaciers couvraient une bonne partie du Canada. Au cours du dernier million d’années, il y a eu plusieurs autres périodes géologiques durant lesquelles des glaciers ont couvert le paysage. D’ailleurs, l’Antarctique, le Groenland et certaines parties de l’île de Baffin sont encore couverts de glace.

Toutefois, notre intérêt se porte sur une période relativement récente. Ainsi, nous espérons collecter certaines des premières données à être recueillies sur le côté ouest de la dépression de Mackenzie, afin de comprendre l’empreinte qu’a eue cette glaciation sur le plateau du Yukon. Les scientifiques ont dû émettre des hypothèses sur l’étendue et le moment des glaciations parce que jamais ils n’étaient allés dans cette région avec le type d’équipement que nous utilisons maintenant.

Les glaciers sont d’immenses masses de glace dont l’épaisseur peut atteindre d’un à deux kilomètres. Se déplaçant à un rythme extrêmement lent, les glaciers façonnent les paysages sur leur passage : dans certaines régions, ils creusent dans la matière (les sédiments et les roches), alors qu’ailleurs, ils broient et déposent des mélanges de ces matériaux. Les motifs formés par l’arrachement et le dépôt de ces matériaux sont les principaux éléments de preuve que nous recherchons afin de reconstituer ce qui s’est déroulé il y a des milliers d’années. Une vraie machine à voyager dans le temps!

Pourquoi est-il important de comprendre l’histoire glaciaire?

L’histoire glaciaire a une influence directe sur la résistance et les propriétés des sédiments du fond marin, ce qui a des répercussions sur plusieurs autres caractéristiques : stabilité des fondations, essentielle aux études techniques du fond marin; les probabilités de glissements de terrain; la température du fond marin, qui influe sur le pergélisol et sur la présence d’hydrates de gaz; l’habitat du fond marin; et toute une série d’autres facteurs qui peuvent avoir un effet sur de nombreux enjeux locaux et même mondiaux.

Étudier l’histoire glaciaire à bord de l’Araon

Une fois de plus, nous utilisons tous les outils à bord de l’Araon pour brosser un tableau du fond marin et de ce qui se trouve dessous et, possiblement, en tirer une meilleure compréhension de l’histoire géologique de la mer de Beaufort.

À l’aide des instruments sonar à bord, nous pouvons voir, d’après les coupes larges et profondes dans les roches tendres et les sédiments du plateau continental, comment le glacier en mouvement a arraché les sédiments. C’est ce phénomène qui a conduit à la formation de la dépression de Mackenzie, une longue cicatrice de plus de 100 mètres de profondeur et large de dizaines de kilomètres, rainurée sur plus de 100 kilomètres, jusqu’au plateau. Ensuite, lorsque le glacier recule, il dépose derrière lui un mélange de boue, de sable et de gravier, parfois complètement amalgamé en un « dépôt de till », parfois étendu en couches de sédiments bien superposées comme un gâteau étagé.

Figure 1

Figure 1. Dans certaines régions, il y a des couches de boue superposées à la manière d’un gâteau étagé qui se sont déposées à l’avant du glacier à mesure que celui-ci reculait vers la côte. La flèche noire pointe vers le fond marin. La double flèche blanche désigne une épaisseur de plus de 40 mètres.Sous ces couches se trouve un mélange de sédiments, qui s’est probablement écoulé du dessous du glacier lorsque ce dernier remplissait la dépression de Mackenzie.

Chaque couche successive de sédiments est un registre des conditions environnementales de l’époque; notre objectif est de tirer l’histoire des changements environnementaux de ces couches constituant les « pages » d’un livre d’histoire. Nous avons ainsi observé des couches de plus de 80 mètres de boue (avec quelques roches) par endroit, bien que, plus couramment, elles mesurent de 20 à 40 mètres.

Figure 2

Figure 2. Une carotte de sédiment a été prélevée dans le cylindre d’acier sous les poids de plomb de 1 500 kilogrammes, puis remontée à l’arrière de l’Araon.

Bien que les carottes de sédiments que nous récoltons dans la boue ne font que quelques mètres — alors que les glaciers ont creusé le fond et déposé des sédiments sur des dizaines, voire des centaines, de mètres —, elles nous permettent de recueillir d’importants renseignements. Les carottes nous fournissent des échantillons de sédiments que nous pouvons examiner physiquement et ainsi mieux identifier les types de dépôts. De plus, avec un peu de chance, nous recueillons des matières datables, comme de petites coquilles fossilisées ou de petits foraminifères. Ces matières sont envoyées à un laboratoire qui procédera à la datation au radiocarbone, ce qui nous révélera l’âge des coquilles.

Figure 3

Figure 3. La découverte d’une coquille fossilisée (indiquée par la flèche rouge) dans les boues glaciaires est un cadeau quand vient le temps de procéder à la datation. Habituellement, il faut « creuser » dans cette boue, afin de recueillir des centaines de microfossiles. Une tâche pour le moins fastidieuse!

À première vue, nous pensons avoir recueilli des données de grande qualité qui enrichiront nos connaissances existantes. Il faudra beaucoup de travail pour que nous puissions brosser un portrait cohérent des glaciations, notamment en interprétant l’étendue et le comportement de cette période d’après nos nouveaux enregistrements sismiques.