Les joies et les difficultés de la recherche scientifique sur le terrain

Jill Rajewicz travaille actuellement à titre de spécialiste des sciences physiques au Service canadien des glaces à Ottawa. Passionnée par la recherche polaire, elle siège au conseil d’administration de la filiale du Canada de l’Association of Polar Early Career Scientists (APECS). Dans ses temps libres, elle aime faire du ski de randonnée et du vélo de montagne et s’adonner à la lecture.

J’ai décidé de faire mes études en sciences parce que je m’intéressais profondément à la nature. Le temps que j’ai passé à l’extérieur depuis mon jeune âge m’a incitée à mieux comprendre les paysages que j’adorais; je voulais savoir pourquoi les choses avaient l’air qu’elles avaient et quels processus avaient été en jeu. Je me suis finalement intéressée à la géographie. La géographie physique est l’étude des processus qui se produisent à la surface de la Terre et dans l’atmosphère; les géographes veulent savoir comment l’atmosphère, la lithosphère, la biosphère et l’hydrosphère interagissent pour façonner le monde et produire les caractéristiques spatiales que nous observons. Mes études en hydrologie, en météorologie, sur le pergélisol, en géomorphologie et sur les changements climatiques (entre autres) m’ont donné des outils pour répondre aux questions que je me posais sur les phénomènes naturels qui m’intéressaient et m’ont aidée à voir le monde d’un point de vue global pour s’attaquer à des problèmes environnementaux compliqués. Chaque jour, je prends beaucoup de plaisir à approfondir ma relation avec la nature en raison de ma formation scientifique.

Je m’intéresse particulièrement à la glaciologie (l’étude scientifique des glaciers et des glaces de façon plus générale) et aux régions polaires. Après l’obtention de mon baccalauréat, j’ai déménagé à Ottawa pour faire ma maîtrise en sciences avec M. Derek Mueller, Ph. D., du Laboratoire de recherche sur l’eau et la glace de l’Université Carleton. J’ai étudié la façon dont l’eau douce provenant de la fonte de la neige et de la glace terrestre s’écoule sous un plateau de glace (énorme plateforme de glace qui flotte sur l’océan, mais qui est rattachée à la terre) dans le fjord Milne, sur la côte nord de l’île d'Ellesmere. Pour ce faire, j’ai effectué une représentation graphique des épaisseurs de glace à l’aide d’un dispositif à pénétration du sol, puis j’ai étudié les propriétés de la colonne d’eau près de la surface dans l’océan, sous le plateau de glace. J’ai constaté que l’eau douce (relativement) tiède avait creusé un canal profond ascendant dans la base du plateau de glace, créant une « rivière inversée ». La canalisation et l’amincissement du plateau de glace le long d’un tel canal affaiblissent le plateau et le rendent plus vulnérable aux fractures. Les plateaux de glace canadiens se brisent rapidement. Mes travaux de recherche m’amènent à penser que l’écoulement canalisé de l’eau pourrait être un mécanisme important dans la perte des plateaux de glace.

Prélèvement d’un profil de la profondeur, de la température et de la salinité de l’eau par un trou dans la glace de mer sur l’océan Arctique dans le cadre de mes travaux de recherche de maîtrise financés par le CRSNG visant à examiner l’écoulement de l’eau douce sous le plateau de glace du fjord Milne.

Prélèvement d’un profil de la profondeur, de la température et de la salinité de l’eau par un trou dans la glace de mer sur l’océan Arctique dans le cadre de mes travaux de recherche de maîtrise financés par le CRSNG visant à examiner l’écoulement de l’eau douce sous le plateau de glace du fjord Milne.

L’un des aspects que j’adore le plus de ma formation de scientifique et de géographe, c’est de pouvoir effectuer de la recherche sur le terrain. J’ai eu la chance de réaliser déjà beaucoup de travaux sur le terrain dans ma carrière scientifique. J’ai cartographié des pins à écorce blanche dans les Rocheuses canadiennes, navigué dans le passage du Nord-Ouest à bord du NGCC Amundsen pour effectuer de la recherche scientifique, et recueilli des données glaciologiques et météorologiques dans la partie sud de l’île d’Ellesmere dans le cadre de mes études de premier cycle. Pour ma maîtrise en géographie à l’Université Carleton, j’ai passé trois étés à travailler à mon site sur le terrain dans le nord de l’île d’Ellesmere.

Me voici en train de réaliser un levé sur l’épaisseur de glace sur le glacier Milne à l’aide d’une technique géophysique appelée dispositif à pénétration dans le sol (dans la glace, dans mon cas).

Me voici en train de réaliser un levé sur l’épaisseur de glace sur le glacier Milne à l’aide d’une technique géophysique appelée dispositif à pénétration dans le sol (dans la glace, dans mon cas). Cet appareil envoie une impulsion d’énergie dans la glace; cette énergie est réfléchie vers la surface lorsqu’elle frappe la limite entre la glace et le roc ou l’eau qui se trouve en dessous. Selon la durée du trajet de cette réflexion, et connaissant la vélocité de l’onde radar dans la glace, nous pouvons déterminer l’épaisseur de la glace.

Il est si important de passer du temps à observer l’environnement pour lancer de nouvelles questions et idées, et les données que je recueille sur place ont une valeur inestimable dans les processus et les systèmes que j’étudie. Cependant, le fait d’étudier un environnement imprévisible peut également rendre les choses très difficiles et frustrantes. Quand on fait du travail sur le terrain, tout va « mal » en même temps! Parfois, ce sont les conditions climatiques, parfois ce sont vos instruments qui ne fonctionnent pas comme prévu, d’autres fois, vous réalisez que vous avez oublié une pièce d’équipement extrêmement vitale au laboratoire, à 3 000 km d’où vous êtes… Souvent, c’est tout simplement le monde qui vous entoure qui est imprévisible et changeant, et le plan parfait que vous avez élaboré confortablement assis à votre bureau ne s’applique pas dans la pratique. Lorsque j’ai commencé à travailler sur le terrain, j’ai constaté qu’il était incroyablement stressant de devoir soudainement adapter mes plans ou d’improviser. J’avais peur de tout gâcher et de ne pas faire les choses de la bonne façon, de sorte que souvent, je n’ai pas posé de questions ni demandé de conseils alors que j’aurais dû le faire. Mes nombreuses saisons sur le terrain m’ont enseigné que les erreurs (sur le terrain, mais aussi dans les sciences en général!) sont inévitables et font partie du processus d’apprentissage qui fera finalement de vous un meilleur scientifique. C’est correct de ne pas tout savoir ou d’admettre que vous avez commis une erreur. Votre superviseur/patron comprendra – lui aussi a été un scientifique débutant dans le passé! Ce qui importe, c’est de faire preuve de résilience face aux échecs et de ne pas abandonner lorsque vous êtes confronté à des difficultés. Le travail sur le terrain vous apprend à faire preuve de souplesse et à réagir sur-le-champ. Maintenant, j’aime relever le défi de trouver des plans B à Z lorsque le plan A ne fonctionne pas, et j’éprouve du plaisir à faire preuve de créativité et à examiner les problèmes sous des angles imprévus. Toutes ces compétences me sont également utiles dans d’autres aspects de mon travail scientifique.

Lorsque vous effectuez des travaux sur le terrain, votre bureau peut se trouver n’importe où! Ici, nous programmons des instruments pendant que nous nous rendons en hélicoptère à notre prochain site d’échantillonnage sur le plateau de glace de Milne.

Lorsque vous effectuez des travaux sur le terrain, votre bureau peut se trouver n’importe où! Ici, nous programmons des instruments pendant que nous nous rendons en hélicoptère à notre prochain site d’échantillonnage sur le plateau de glace de Milne.

Même s’il présente assurément des difficultés, le travail sur le terrain est également amusant, stimulant et inspirant. J’adore être en plein air, faire du camping, de la randonnée et du ski pour mon travail. Le fait d’être immergé dans le monde et d’observer les processus et les phénomènes de vos propres yeux stimule votre curiosité et vous amène à vous poser de nouvelles questions et à trouver de nouvelles façons d’examiner des problèmes. J’ai eu la chance de me rendre dans des endroits dans l’Extrême-Arctique que très peu d’autres personnes auront l’occasion de visiter. Le fait de travailler et de vivre en contact étroit avec d’autres scientifiques dans des conditions parfois difficiles vous permet d’établir des relations uniques. Vous apprenez à devenir un bon coéquipier et un bon communicateur. Au-delà des compétences techniques et scientifiques, j’ai appris comment alimenter un campement uniquement en énergie solaire, et comment descendre d’un hélicoptère en vol stationnaire. Les repas sont extrêmement délicieux lorsque vous avez passé toute la journée à l’extérieur à travailler fort, et le plaisir de prendre une première douche après un mois passé dans un camp éloigné est tout à fait indescriptible! Il est très motivant de penser aux travaux sur le terrain à venir (ou aux bons souvenirs d’être là-bas) lorsque vous êtes obligé de rédiger un travail ou d’effectuer une analyse statistique.

Mon chez-moi au camp du glacier de Milne dans le fjord Milne, dans le nord de l’île d’Ellesmere. À 82 degrés de latitude nord, le soleil ne se couche pas durant l’été – cette photo a été prise à une heure du matin!

Mon chez-moi au camp du glacier de Milne dans le fjord Milne, dans le nord de l’île d’Ellesmere. À 82 degrés de latitude nord, le soleil ne se couche pas durant l’été – cette photo a été prise à une heure du matin!

Durant l’été, la température dans l’Extrême-Arctique peut être agréable. Je suis ici avec mon équipe en train de manger et de me détendre dans la plus magnifique salle à manger du monde, sur l’île d’Ellesmere.

Durant l’été, la température dans l’Extrême-Arctique peut être agréable. Je suis ici avec mon équipe en train de manger et de me détendre dans la plus magnifique salle à manger du monde, sur l’île d’Ellesmere.

J’espère que j’aurais encore beaucoup de recherches à faire sur le terrain au cours de ma carrière de scientifique. J’encourage toutes les personnes intéressées à profiter des occasions de participer à des travaux de recherche sur le terrain, puisqu’il s’agit d’une toute nouvelle dimension de l’étude de la nature. Compte tenu de mon expérience dans la recherche sur le terrain, je donnerais le conseil suivant aux femmes et aux filles qui envisagent une carrière dans les domaines des sciences, technologies, ingénierie et mathématiques (STIM) : si vous êtes curieuses et passionnées, vous pouvez acquérir les compétences dont vous avez besoin pour travailler dans les domaines des STIM, même si cela peut ne pas vous sembler facile au départ – c’est normal! Apprendre à réfléchir de manière scientifique apporte souvent son lot d’erreurs, mais ces difficultés font partie de l’acquisition et de l’amélioration de vos compétences à titre de scientifiques. Il est difficile de créer de nouvelles connaissances et de faire des découvertes, mais cela en vaut la peine.

La recherche sur le terrain est un travail difficile et, pour moi, cela représente souvent de longues journées à transporter de lourdes charges et à parcourir de longues distances à pied. Pour une glaciologue, il n’y a pas de meilleur endroit pour faire une sieste qu’à proximité d’un glacier!

La recherche sur le terrain est un travail difficile et, pour moi, cela représente souvent de longues journées à transporter de lourdes charges et à parcourir de longues distances à pied. Pour une glaciologue, il n’y a pas de meilleur endroit pour faire une sieste qu’à proximité d’un glacier!