Utilisation d’outils de haute technologie pour explorer de nouvelles zones le long de la côte ouest de la dépression du Mackenzie

Étant donné son grand potentiel de gisements de pétrole et de gaz, la géologie de la zone située sous la mer de Beaufort canadienne sur la côte est de la dépression du Mackenzie a été étudiée abondamment au cours des cinq dernières décennies. Il existe donc beaucoup de données sur cette zone, notamment des données sismiques multicanaux qui nous font voir en profondeur la subsurface; de larges fauchées de données multifaisceaux permettant d’établir des cartes détaillées du plancher océanique, très semblables à des cartes topographiques terrestres; une centaine de puits d’exploration de l’industrie pétrolière et gazière, forés à des centaines de mètres dans le plancher océanique; et des centaines de carottes de 5 mètres ou moins prélevées à des fins scientifiques.

En revanche, il existe très peu de données sur la côte ouest de la dépression du Mackenzie, à l’est de la frontière entre les États-Unis et le Canada : quelques cartes bathymétriques de faible résolution, quelques levés multifaisceaux détaillés et profils sismiques de faible qualité, ainsi qu’un puits de l’industrie pétrolière et gazière.

Pour notre étude de cette zone peu explorée, nous chercherons d’abord à en comprendre les processus du plancher océanique et nous comparerons nos observations à celles qui ont été faites sur la côte est. À l’instar des premiers explorateurs qui ont cartographié et décrit de nouveaux territoires, nous explorons nous aussi des régions relativement inconnues, mais munis d’outils de haute technologie plutôt que de compas et de sextants.

Comme nous ne disposons que de 15 jours de temps-navire, nous devons cibler nos études pour réussir à comprendre des zones qui ont la taille d’un timbre-poste sur les cartes de la vaste région du plateau/de la pente du Yukon.

Nous utilisons des outils de plus en plus précis à mesure que nous nous approchons des zones d’intérêt. Nous avons tout d’abord utilisé des cartes du plancher de l’océan Arctique pour définir les zones d’intérêt potentiel. La résolution de ces cartes est mauvaise – c’est comme regarder une image floue. À partir d’estimations éclairées, nous choisissons des cibles et utilisons nos premiers outils, dont il est question dans la publication précédente : le sonar multifaisceaux à bord du navire nous sert à produire une carte plus détaillée du plancher océanique tandis que le sondeur de sédiments est utilisé pour produire des images des couches de sédiments situées sous le plancher océanique.

Ces données sont collectées en continu au fur et à mesure que le navire effectue des va-et-vient le long des lignes, à l’image d’une tondeuse à gazon. Les résultats sont intrigants. À première vue, le fond de la mer ici ressemble à celui de la dépression dans l’est. Il comprend des fissures profondes qui coupent le plateau continental et de larges bandes de plancher océanique ponctuées de monticules, de ravines et de crêtes potentiellement associés au rejet de gaz ou d’eau.

Après des jours de collecte de données par bateau et de nettoyage des données multifaisceaux (toute inexactitude dans les données doit être nettoyée de manière à ce que la carte soit utile pour les géologues), une carte de base est produite et doit permettre de trouver des zones d’intérêt afin que nous puissions déployer des outils d’échantillonnage encore plus précis : le véhicule sous-marin autonome (VSA) de cartographie haute résolution et le mini-véhicule télécommandé (VT).

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Photo 1 : Exemples de données bathymétriques multifaisceaux recueillies par l’Araon (gauche) et de données recueillies par le VSA (droite).

Une fois que les zones d’intérêt sont sélectionnées à partir des cartes à faible résolution réalisées par bateau, une mission est établie et transmise au VSA, qui effectue de façon autonome des levés du plancher océanique pendant des missions de 16 à 20 heures. La résolution des cartes est telle que nous pouvons créer une image des éléments du plancher océanique ayant une taille d’un mètre.

Pendant la longue mission de collecte de données du VSA amorcée l’après-midi et terminée dans la nuit, nous avons commencé à utiliser les données du sondeur de sédiments pour sélectionner des emplacements cibles aux fins de carottage par gravité.

Pour prélever une carotte, un appareil de carottage suspendu à un câble d’acier est enfoncé dans le plancher océanique. L’appareil est formé d’un tuyau d’acier creux et d’une doublure en plastique. Il est surmonté d’un poids en plomb qui dirige le tuyau dans le plancher océanique. Le système de carottage que nous utilisons peut comporter des tuyaux d’acier d’une longueur maximale de 6 m et est surmonté d’un poids de 250 km. Là où le fond est mou, le tuyau et la doublure peuvent se remplir de sédiments sur 6 m; lorsque le plancher océanique est dur, on n’obtient parfois que 1 à 3 m de sédiments, voire moins. Une fois les sédiments collectés, le système de carottage est remonté à la surface.

Une fois à bord de l’Araon, les doublures remplies de sédiments fournissent des échantillons qui nous montrent comment les sédiments varient en fonction de la profondeur. La plupart des échantillons sont scellés sur le navire et envoyés au KOPRI, où ils seront analysés en détail à l’aide de techniques variées pour déterminer diverses propriétés, dont l’âge des sédiments, leur type et leur source, ainsi que les propriétés chimiques de l’eau piégée entre les couches et les grains de sédiments. On cherche notamment à savoir quelles étaient les conditions qui régnaient il y a 10 000 à 12 000 ans.

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Photo 2 – Appareil de carottage par gravité de 6 m de longueur installé sur le pont arrière de l’Araon.

Le dernier outil de notre boîte à outils moderne – et celui de la plus grande précision chirurgicale – est le mini-véhicule télécommandé (VT), doté d’une caméra vidéo haute résolution, d’un bras robotique, d’appareils de carottage sous pression et d’une trousse d’échantillonnage. Nous effectuons des levés du plancher océanique en lui faisant survoler le terrain qui, d’après les cartes bathymétriques multifaisceaux, nous semble le plus prometteur. Ces levés vérifiés sur le terrain à l’aide du VT nous permettent d’examiner, de commenter et d’échantillonner des matériaux tout comme les géologues le font sur la terre ferme.

Heureusement, nous effectuons tout cela en restant au chaud et au sec dans la cabine de commande du VT. Au cours des deux derniers jours de relevé avec le VT, nous avons dirigé quatre plongées et collecté environ 30 roches et huit carottes sous pression. Deux des carottes sous pression ont été collectées dans un tapis de bactéries se développant sur le plancher océanique, d’où quelques bulles se sont échappées, signe de la présence de méthane.

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Photo 3 – Pilotes dans la cabine de commande du VT prélevant des carottes sous pression dans le plancher océanique.

Faisant surface après un déploiement de 18 heures, le VSA a été récupéré à l’aide d’un petit bateau et replacé en toute sécurité sur le pont de l’Araon.

Après trois heures de traitement de données, les premiers résultats ont révélé une impressionnante topographie du plancher océanique, avec des escarpements linéaires, des dépressions allongées et des crêtes qui sont habituellement parallèles au bord du plateau. On observe également des monticules circulaires pouvant atteindre 10 m de hauteur, qui comportent souvent des sommets effondrés. D’après ce que nous savons, le seul endroit où une topographie comparable a été cartographiée se trouve sur le flanc est de la dépression du Mackenzie. Cette observation indique clairement que, quels que soient les processus qui forment cette morphologie inhabituelle, ils se produisent des deux côtés de la dépression du Mackenzie. Les données sismiques multicanaux collectées au début du programme aideront à établir les raisons de ces similitudes.

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Photo 4 — Des scientifiques récupèrent des spécimens collectés par le VT et l’équipage de l’Araon fixe le VT sur le pont.

Une analyse approfondie de toutes ces données doit être faite une fois de retour à nos laboratoires respectifs sur la terre ferme. L’utilisation de ces outils aide les scientifiques à mieux comprendre les processus géologiques qui se sont déroulés et se déroulent encore autour de la région de la dépression du Mackenzie.

En raison des mauvaises conditions météorologiques, dont des vents de 40 nœuds, nous n’avons pas pu déployer le VSA ni le VT ce jour-là. Heureusement, l’Araon est un navire très robuste conçu pour naviguer sur des mers agitées et nous avons traversé la tempête assez confortablement!